Les noces de Cana (Jean 2.1-11)

Dans la scène des fameuses noces de Cana en Galilée, Jésus est dépeint au tout début de son ministère comme dévoilant sa gloire en déversant l’abondance de sa joie. À travers bien des marqueurs symboliques, le lecteur est dès lors invité à trouver en lui cette joie pleine et entière.

Le premier verset annonce que cet événement eut lieu « le troisième jour », une expression bien connue dans la littérature biblique. En effet, c’est le « troisième jour » que Dieu est apparu en gloire à Moïse pour lui donner la Loi (Exode 19.11). Or, dans le Quatrième Évangile, Jésus vient manifester une gloire surpassant celle associée à la Loi. Il apporte la plénitude de ce que cette dernière ne pouvait qu’entrevoir. « Le troisième jour » indique donc au lecteur attentif qu’une gloire nouvelle est sur le point d’être révélée. Toujours dans ce premier verset, le cadre des « noces » contient une force symbolique immanquable. Les noces étaient des temps joyeux, festifs, lors desquels la nourriture était abondante et le vin coulait à flots. Dans l’Ancien Testament, elles évoquent bien souvent les temps messianiques qui apporteraient la plénitude de la présence et de la vie divines.

Pourtant, très vite dans le récit, une crise est décrite : « ils n’ont pas de vin » (2.3). Celle-ci peut paraître quelque peu triviale, mais, lors des noces de l’époque, venir à manquer de vin était un véritable embarras social. La mère de Jésus l’avait bien compris, c’est pourquoi il faut entendre cette remarque de sa bouche comme une demande implicite envers son fils : « Fais quelque chose ! » Peut-être voulait-elle simplement éviter à la famille du marié un certain discrédit dans le village. Peut-être envisageait-elle aussi, plus cyniquement, d’être élevée à travers son fils au rang de bienfaitrice, envers qui la famille du marié serait redevable. Ces considérations peuvent d’ailleurs expliquer pourquoi Jésus refuse initialement de s’impliquer : « Femme qu’avons-nous de commun dans cette affaire ? » Mais c’est la raison qu’il donne à sa mère qui apporte une clef de lecture indispensable à cet épisode : « Mon heure n’est pas encore venue » (2.4). Dans cet évangile, l’heure de Jésus est celle de sa glorification, c’est-à-dire sa passion, sa crucifixion et sa résurrection (7.30 ; 8.20). C’est à cette heure-là qu’il inaugurerait les bienfaits de la vie éternelle, déversant l’Esprit vivifiant sur ceux qui croient. La révélation pleine et entière de cette gloire était donc encore à venir. Cependant, lors des noces de Cana, Jésus anticipe cette « heure ».

Il change de l’eau en vin. Pour cela, Jésus utilise « six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs » (2.6). Au lieu des cruches de terre où l’on gardait le vin et qui se trouvaient être vides, il se sert donc de larges récipients de pierre destinés à un usage autre que la boisson : celui des purifications rituelles. Il y en avait six (c’est à dire sept moins une !), si bien que cette mention évoque certainement l’imperfection de l’ordre ancien, de la Loi et de ses rites. Oui, dans ce récit, Jésus transforme ce qui représente la religion et ses obligations en ce qui symbolise la nouveauté, la joie abondante et parfaite. Jésus change l’eau du rite en vin ! Ce que notre texte déclare, c’est qu’à travers son ministère Jésus inaugure les temps messianiques, les temps de rétablissement et de joie pour tout un peuple (cf. Amos 9.13-14 ; Joël 3.18 ; Isaïe 25.6 ; 2 Baruch 29.5).

Là se trouve la manifestation de sa gloire, et là se trouve la base de la foi de ses disciples (2.11). La gloire de Jésus ne consiste pas simplement dans sa capacité (certes extraordinaire) à changer de l’eau en vin. Sa gloire n’est pas d’être le plus grand alchimiste du monde. Ce qui rend cette action glorieuse, c’est sa capacité à mettre de côté un système régulé et oppressif pour permettre à la fête de vraiment commencer. En un sens, l’action de Jésus est franchement immorale. Il n’écarte pas la Loi et ses obligations pour les remplacer par un système de purification plus sophistiqué. Non, il le fait afin de permettre à tout le village de s’enivrer de bon vin. La nouveauté apportée par Jésus, la gloire signifiée par cette action, c’est que la convivialité et la fête viennent remplacer la religion et sa morale. En Jésus, la joie et la vie sont données, en excès, en trop plein.

Cette manifestation de gloire n’est certes qu’une simple anticipation de la gloire que Jésus révèlerait pleinement à la croix, mais c’est bien vers cette réalité que le signe de Cana dirige nos regards. La mission de Jésus consiste à donner la vie en abondance, et à la croix, il la répandrait et remplirait son peuple de joie, comme les convives de Cana furent remplis de bon vin. Alors que ceux-ci se satisfaisaient d’un nectar moyen, alors qu’ils étaient contents d’être là sans pour autant être vraiment joyeux, la fête commence vraiment avec la présence de l’époux véritable.