Bon. Ce pasteur est un imbécile de premier ordre, un macho fini, même s'il est certain que l'iconographie sur Jésus laisse souvent à désirer (je ne suis pas fana du hippie en couche non plus). Il est probable qu'il n'ait pas tout de suite réalisé l'étendue de ce qu'il disait. À l'écouter, il ne pourrait pas rendre un culte à ce Jésus qui fut cloué sur une croix: trop faible pour lui! Ce pasteur réagit à une certaine féminisation des hommes sur sa côte ouest des États-Unis, mais du même coup réfléchit en termes purement binaires, et donc absurdes.

Tout cela m'a fait réfléchir sur l'image que donne le Nouveau Testament de la faiblesse de Jésus en lien avec sa divinité. Terrain miné, mais non moins fascinant.

Si l'incarnation de Dieu en Jésus-Christ démontre quelque chose, c'est bien la volonté de Dieu d'accomplir ses desseins à travers la faiblesse de son Fils. Dans le Nouveau Testament, la victoire de Dieu en Jésus-Christ est accomplie par sa mort sur une croix (Colossiens 2.14-15) ! Les évangiles nous content d'ailleurs un Jésus tout humain et faible, qui connaît la faim, qui pleure, qui souffre et qui meurt.

La faiblesse est donc sans aucun doute un aspect important du ministère de Jésus. Mais qu'en penser? Que cette faiblesse ne reflète que l'humanité de Jésus, et non sa divinité? J'en doute très fortement. Dans le Nouveau Testament, Jésus est délibérément présenté comme partageant l'identité de Dieu, non seulement dans sa pré-existence et dans son exaltation, mais aussi dans son humiliation(1). Ainsi, dans sa faiblesse comme dans son exaltation, Jésus - Dieu incarné - révèle qui est Dieu. Conséquemment, sa faiblesse révèle un aspect primordial de l'identité divine(2).

Bauckham, Jesus and the God of Israel

Considérons Philippiens 2.5-11:

5. Ayez en vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ: 6. lui qui était vraiment divin, il ne s'est pas prévalu d'un rang d'égalité avec Dieu, 7. mais il s'est vidé lui-même en se faisant vraiment esclave, en devenant semblable aux humains; reconnu à son aspect comme humain, 8. il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à la mort - la mort sur la croix. 9. C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a accordé le nom qui est au-dessus de tout nom, 10. Pour qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, 11. et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur à la gloire de Dieu, le Père.

Dans ce passage, il est clair que Christ participe à l'identité divine dans sa pré-existence (v. 5) comme dans son exaltation (v. 9-11). Mais il ne faut pas oublier que le Christ pré-existant et le Christ exalté est aussi le Christ humilié. Dans tout cela, son identité divine est maintenue (il n'a pas perdu sa divinité en s'incarnant). En s'humiliant, il a montré que partager l'identité divine n'était pas pour lui l'occasion de se mettre en avant, de rechercher égoïstement ses propres intérêts, mais de se vider et de se donner lui-même. De même, c'est parce que ("c'est pourquoi", v. 9) Christ s'est humilié qu'il a été divinement élevé. Ainsi, son humiliation appartient à l'identité de Dieu tout autant que son exaltation. En d'autres termes, Paul exprime que Dieu qui est élevé peut aussi être abaissé. L'identité divine est révélée autant dans l'humiliation de Christ sur la croix que dans son exaltation(3). Jésus n'est pas moins participant de l'identité divine dans son humiliation que dans son exaltation. En Christ crucifié, Dieu se présente dans le don de soi radical, prenant sur lui la plus abjecte des conditions. Dans l'obéissance, la souffrance et la faiblesse humaine, Jésus n'en demeure pas moins Dieu.

Ce que ceci signifie, entre autres, c'est qu'il ne faut pas chercher de contradictions dans cette présentation de l'identité divine. Dieu se révèle dans ces contrastes: il est créateur de toutes choses, mais il demeure Dieu dans la vie humaine de Jésus; il est souverain sur toutes choses, mais il est aussi Dieu dans l'obéissance et le service de Jésus. Il est majestueux et glorieux, mais il demeure Dieu dans l'humiliation de la croix de Jésus. Dans tout cela, Dieu est amour et il se donne. Il règne comme serviteur. Il est exalté comme celui qui est aussi avec les humbles.

Mark Driscoll aurait très certainement beaucoup de mal avec cette image de Dieu - mais elle est pourtant bien biblique. Oui, Dieu est (aussi) serviteur, faible, humble. Et c'est justement Jésus qui nous le révèle ainsi - dans sa mort sur la croix.

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  1. Sur ce point et ce qui suit, voir la synthèse magnifique de Richard Bauckham, God Crucified: Monotheism & Christology in the New Testament, Grand Rapids, MI, Eerdmans, 1998.
  2. Avec Bauckham, p. 41-42, il me semble qu'il est plus à propos de parler en termes d'"identité" divine qu'en termes de "fonctions" ou de "natures" divines dans l'interprétation du Nouveau Testament. La tradition chrétienne, assez tôt dans l'histoire de l'Église, est passée de catégories juives et vétérotestamentaires (qui est Dieu) à des catégories grecques (qu'est-ce que Dieu) pour parler du divin. Ce sont ces dernières qui prévalent, par exemple, à Nicée et Nicée-Constantinople. Les catégories grecques ne sont pas fausses ou mauvaises en soi, mais elles ne correspondent pas à la manière avec laquelle la Bible elle-même parle de Dieu.
  3. À noter que dans l'Évangile de Jean, l'humiliation et l'exaltation de Jésus ne sont pas présentées en séquence chronologique (d'abord l'humiliation, puis l'exaltation). Non, l'élévation de Jésus sur une croix est déjà sa glorification (voir Jean 3.14-15; 8.28; 12:23, 32-34; 13:31-32; 17:1-5 ). En mourant sur la croix, Christ glorifie son Père, il révèle qui est Dieu.