A priori, il n’y a pas grand-chose en commun entre l’évangile selon Jean et Dieu en personne, nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu. Pourtant, des thématiques similaires y sont déployées. Considérées en parallèle, ces deux lectures ne manqueront pas de nous faire réfléchir sur notre foi et notre rapport à Dieu. Quelques pistes de lectures sont donc nécessaires.

Dans ces deux récits, Dieu est en procès. Si les cultures dans lesquelles il s’incarne sont bien différentes (le premier siècle en Palestine et le monde occidental moderne), le rapport des gens à Dieu demeure conflictuel.

Un grand procès cosmique

Il est aujourd’hui communément admis par les spécialistes qu’il faut comprendre l’évangile de Jean comme un grand procès métaphorique opposant Dieu au monde. Cet évangile est saturé de vocabulaire et de situations d’ordre juridique : les notions de juge, de loi, d’avocat, de témoin, de vérité, d’accusé, etc. À la manière d’Ésaïe 40-55, Dieu porte plainte contre le monde. Sa plainte, pourtant, n’a pas en vue la condamnation du monde. Non, Dieu accuse parce qu’il veut que le monde abandonne sa rébellion et son aliénation pour trouver la vie en lui. Il aime le monde et désire avoir une relation avec lui. C’est pour cela qu’il envoie son Fils(1). Jésus dira lui-même : « Moi, je suis venu pour qu’ils aient la vie et l’aient en abondance(2)». Jésus, l’envoyé de Dieu, le Logos incarné, est porteur de « vérité » dans le procès : non seulement dit-il la vérité sur Dieu, mais il est aussi lui-même la vérité qui permet de rencontrer Dieu(3). Dans ce procès cosmique, la vérité se trouve en Jésus.

qu'est-ce que la vérité

Dieu au banc des accusés

Or, cette vérité est difficilement admise par le peuple de Dieu et par le monde en général. Tout au long du récit, Dieu, représenté par Jésus, se retrouve lui-même sur le banc des accusés. Il y a des controverses entre Jésus et les autorités Juives qui se demandent si Jésus est un vrai prophète, le Messie ou un faux prophète qui conduit le peuple à sa perte. Malgré les sept « témoins(4) » que l’Évangile met en avant, Jésus ne fait pas l’unanimité. Alors que la foule est divisée sur le sujet, les autorités Juives tentent d’utiliser la loi et les Écritures contre lui. Pour eux, Jésus viole le Sabbat, et il est donc pécheur. Il commet le blasphème en se faisant l’égal de Dieu. Finalement, on se hâte de mettre ce fauteur de troubles hors d’état de nuire afin de sauver la nation tout entière du courroux romain. Sans surprise, le procès de Jésus a
boutira à une audience bâclée devant les autorités, puis à une mise à mort injuste.

Le retournement de situation

Mais toute l’ironie de cette situation se trouve dans le fait que Jésus fonctionne dans le procès non seulement comme accusé et témoin principal, mais aussi comme juge(5) ! C’est justement quand Jésus se soumet à la sentence de mort déclarée à son encontre qu’il rend lui-même le verdict véritable, un verdict porteur de vie : attaché sur la croix, transpercé par une lance, de l’eau et du sang (représentant la vie) jaillissent de son sein(6). Ceux qui ont cru en lui reçoivent la vie, alors que ceux qui l’ont placé sur la croix se condamnent eux-mêmes(7).

« Dieu DIEU »

Au début de la bande dessinée Dieu en personne(8), un homme dévoile son identité lors d’un recensement de la population. Prénom : Dieu. Nom : DIEU. Cet homme, dont on ne distinguera jamais clairement le visage, se prétend donc être Dieu en personne. Qui plus est, il n’a ni domicile, ni papiers, ni numéro de sécurité sociale. Ainsi, comme on l’aurait fait s’il avait déclaré être Napoléon, on l’interne en hôpital psychiatrique. Le problème, c’est que cet homme n’est pas fou, et les médecins s’en rendent très vite compte. Quand on lui pose une question, il répond de manière géniale, tout en déstabilisant ses interlocuteurs. Plus encore, ses connaissances semblent sans fin, et certains de ses « prodiges », laissant peu de place au doute, commencent à s’ébruiter. C’est un véritable phénomène médiatique mondial qui est sur le point d’exploser.

Une critique aiguë du monde moderne

On l’aura compris, Marc-Antoine Mathieu imagine dans cette nouvelle bande dessinée la réception que réserverait notre XXIe siècle à Dieu s’il décidait de s’incarner de nouveau. C’est cette critique du monde d’aujourd’hui, dans tous ses abus, qui constitue d’ailleurs l’intérêt premier de cette BD. Ainsi, selon Mathieu, le moment de stupeur passé, notre monde n’aurait d’autre solution que de placer, lui aussi, Dieu sur le banc des accusés. Eh oui, car si Dieu est bien celui qu’il prétend être, il est la « cause première » et donc le « coupable universel ». Dans ce monde à qui rien n’échappe, l’existence de Dieu ne pourrait plus être contestée, mais les humains auraient quand même beaucoup de questions à lui poser : Pourquoi les guerres, la souffrance ? Pourquoi ne pas intervenir plus souvent ? Pourquoi être revenu ? Dieu mériterait un gigantesque procès mondial et ultra-médiatisé lors duquel mathématiciens, philosophes, sociologues, psychiatres, médecins, historiens, « théologistes » et autres publicistes tenteraient d’apporter leurs questions et témoignages. Dans un tel monde, sans aucun doute, des films et des pièces de théâtres s’empareraient du phénomène pour faire du profit. On créerait des tee-shirts à l’effigie de Dieu. Une marque serait déposée. Et Dieu lui-même écrirait probablement des bouquins qui se vendraient comme des petits pains !

Quels juges sommes-nous?

Ces deux récits forts différents savent mettre le doigt là où ça fait mal. Ils nous mettent face à Dieu, et face à nos responsabilités – pour ne pas dire nos culpabilités. N’avons-nous pas si facilement tendance à mettre Dieu en boîte ? À vouloir qu’il soit ce que nous voudrions ? Qu’il agisse comme nous agirions ? Bref, à lui faire un procès ? La bible dévoile que Dieu s’est déjà incarné en Jésus-Christ, et que c’est lui qui révèle qui est Dieu. Saurons-nous, comme les premiers disciples, admettre nos limites, croire en lui et nous mettre à son écoute pour recevoir la vie ? À leur manière, nos deux récits, écrits à près de 2000 ans d’intervalle, nous y appellent.

  1. Jean 3:16
  2. Jean 10:10
  3. Jean 14:6
  4. Ceux-ci sont: Jean Baptiste (1:7, 8, 15) ; Jésus lui-même (8:14 ; 3:11, 32-33 ; 7:7 ; 8:18) ; les œuvres de Jésus (5:36 ; 10:25) ; Dieu (8:18 ; 5:32, 37) ; les Écritures (2:17 ; 3:14 ; 6:31-33 ; 7:39) ; la femme Samaritaine (4:39) ; la foule (12:17).
  5. Jean 5:22-30 ; 9:39 ; 12:47-48
  6. Jean 19:34
  7. Jean 3:17-19
  8. Marc-Antoine Mathieu, Dieu en personne, Delcourt, 2009.