Ce n’est pas sur la prière en général que que cette prédication portera, mais sur un type de prières en particulier : la prière de demande, aussi appelée la prière d’intercession. En effet, c'est un sujet qui revient souvent dans diverses activités communautaires et dans mes entretiens pastoraux. C'est un sujet, en fait, généralement posé sous forme de questions :

  • Pourquoi prier puisque Dieu sait déjà tout ?
  • Pourquoi lui demander quelque chose puisqu’il sait déjà ce qu’il va nous donner (ou non) ?

Qui, effectivement, ne s’est jamais posé de telles questions autour de l’utilité de la prière ? Nous avons là des questions ô combien fondamentales, n’est-ce pas ? Alors, pour nous aider dans notre méditation, j’aimerais vous inviter à lire un texte, bien connu, mais loin d’être facile. Il se trouve en Matthieu 6.7-8 :

En priant, ne multipliez pas les paroles, comme les non-juifs, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne faites pas comme eux, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez.

Les questions que nous posent la prière de demandes

Comme je le disais dans mon introduction, nous pouvons avoir beaucoup de questions sur la prière de demande ou d’intercession. Des questions souvent liées à l’utilité d’une telle prière :

  • Prier, est-ce que ça sert vraiment à quelque chose ?
  • Dieu se soucie-t-il vraiment de mes besoins ?
  • Pourquoi prier puisque Dieu a un plan pour ma vie ?
  • Et, pour reprendre les termes de notre texte : Pourquoi lui demander quoi que ce soit puisqu’il sait déjà de quoi j’ai besoin ?

Bien évidemment, nous touchons là à des questions qui sont à la fois fondamentales et suprêmement mystérieuses. Nous touchons là aussi à des questions qui nous touchent personnellement parce que nous avons tous déjà prié, peut-être intensément, pour certains sujets, et nous n’avons pas été exaucés alors que notre désir était apparemment bon. Nous avons prié pour la guérison d’un proche, mais il n’a pas été guéri. Nous avons prié pour la réussite lors d’un examen, mais nous ne l’avons pas eu. Nous avons prié pour trouver une épouse, ou pour avoir un enfant, mais ils ne viennent pas. Nous avons prié pour le salut de notre collègue ou voisin, mais à ce jour, ils sont loin du Seigneur et ne semblent pas vouloir s’en approcher…

Alors, face à ce qui ressemble fort à des « non » de la part de Dieu, face à tous ces « refus », nous pouvons facilement être découragés. Et nous pouvons facilement remettre en question l’intérêt même de prier : « De toute façon ça ne sert à rien. Dieu n’en fait qu’à sa tête » pourrions-nous nous dire. Et, si en plus un texte comme celui de Matthieu nous dit que « Dieu sait déjà ce dont nous avons besoin », alors oui, à quoi bon lui faire des demandes…

Ce que Jésus critique en Matthieu 6.7-8

Avant de tenter de répondre à ces questions, j’aimerais quand même expliquer ce que Jésus dit et ne dit pas en Matthieu 6.7-8. En fait, dans ce texte, ce n’est bien évidemment pas la prière en général que Jésus critique, mais le rabâchage : « En priant, ne multipliez pas les paroles, comme les non-juifs, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. » Ce que Jésus critique donc, c’est une attitude dans la prière qui pense qu’avec certaines techniques, en « parlant parlant parlant », on pourrait provoquer, voire contraindre, l’exaucement de Dieu à nos prières. Mais non : c’est Dieu exauce les prières selon ce qu’il sait être bon pour ses enfants, pas selon la bonne utilisation de techniques ou d’un manuel de prière.

Ainsi, dit Jésus, l’assurance qui doit animer notre prière, c’est que « Dieu sait de quoi vous avez besoin ». Oui, c’est une assurance, et cette assurance doit nourrir notre vie de prière et la rendre toujours plus authentique. Le Dieu à qui je m’adresse, le Dieu à qui je demande des choses, le Dieu auprès de qui j’intercède, ce Dieu me connaît et il sait ce qui est bon pour moi, pour mes proches, pour le monde. Le Dieu auquel nous parlons sait de quoi nous avons besoin. Jésus n’est donc pas du tout en train de dire que, de toute façon, la prière est inutile. Non, mais il appelle ses disciples à prier Dieu en étant animés d’une certaine attitude, d’une certaine vision de Dieu, d’une certaine assurance à son égard. Dieu est bon. Dieu est amour. Dieu sait. Il est votre Dieu, votre Père, et il vous veut du bien.

Et ce Dieu qui sait de quoi nous avons besoin veut néanmoins que nous le priions, que nous lui fassions part de nos besoins. Grégoire de Nazianze disait cette phrase, très belle : « Dieu a soif que l’on ait soif de lui », et je crois que c’est tout à fait vrai. Parce que Dieu n’est pas une machine. Non, Dieu est un Dieu de relations. Un Dieu qui s’est révélé à nous, qui s’est fait connaître. Qui est venu nous chercher et qui désire donc que nous restions en relation avec lui, comme un Père désire la relation avec ses enfants.

C’est un petit peu comme quand les enfants partent faire des études. Bien sûr, les parents savent que leurs enfants ont besoin d’argent pour vivre, mais ils ne voudraient surtout pas que leur relation s’arrête à ça. Ils ne voudraient surtout pas être considérés comme des distributeurs de billets, et rien de plus. Non ce qu’ils veulent, ce qu’ils désirent, c’est rester en relation avec leur enfant. Ils savent ce dont il a besoin, mais ceci ne doit pas minimiser l’importance du lien, l’importance de la reconnaissance, l’importance de l’amour qui unit les parents à leur enfant. Si les parents ne veulent pas être traités comme des distributeurs de billets, ils ne veulent donc pas non plus que leur enfant soit un simple réceptacle de leur aide. Non, ils ont trop d’amour pour lui pour le considérer comme tel. Eh bien il en va de même de Dieu et de ses enfants. C’est une véritable relation qu’il veut entretenir avec nous, et cette relation se vit tout particulièrement dans la prière, et la prière de demande rentre dans le cadre d’une telle relation.

Comment, dès lors, demander ?

Alors comment, du coup, sommes-nous appelés à demander quelque chose à Dieu, ce Dieu avec qui nous sommes en relation ? Ce Dieu-là sait ce dont nous avons besoin, oui, et il veut néanmoins que nous le lui demandions. Mais comment ?

Considérons le Notre Père, la prière qui se trouve juste après notre texte, en Matthieu 6. Il me semble, soit dit en passant, que ce lien de proximité n’est pas un hasard du tout. Non, si c’est le cas, c’est non seulement parce que Jésus, par le Notre Père, voulait apprendre à ses disciples comment prier de manière générale, mais plus précisément parce qu’il voulait les aider à découvrir ce qu’est la vraie prière de demande, ce qu’est la véritable prière d’intercession.

Vous le savez : il y a plusieurs demandes spécifiques dans le Notre Père. « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ; « pardonne-nous nos offenses » ; « ne nous soumets pas à la tentation » ; « délivre-nous du mal »… Toutes ces demandes sont bonnes, bien sûr, et tout porte à penser que Dieu désire y répondre positivement. Oui, Dieu sait que nous avons besoin de ces choses et il veut nous les donner. Mais remarquez que le Notre Père ne commence pas par ces demandes ou ces requêtes… Non, le Notre Père commence avec Dieu : « Notre Père » ; « que ton nom soit sanctifié » ; « que ton règne vienne » ; « que ta volonté soit faite ». Oui, c’est tout d’abord en portant un regard d’adoration, en élevant Dieu, en le sublimant que Jésus nous invite à entrer dans la prière.

Et ce n’est pas anodin. Non, si c’est Jésus fait cela, c’est justement parce que commencer par Dieu change complètement la perspective que nous pouvons avoir sur nos demandes, sur notre intercession. Je m’explique. Il me semble quand même que trop souvent, nous utilisons la prière de demande comme un moyen pour que Dieu nous donne ce que nous voulons. Nous regardons notre situation, nous voyons où nous voulons aller, et nous demandons à Dieu de nous permettre d’y arriver. Notre prière est donc parfaitement autocentrée, et Dieu n’est qu’un moyen que nous utilisons pour arriver à notre fin.

Mais par contre, si notre désir fondamental est que Dieu soit élevé et adoré, si notre désir fondamental est que son règne vienne et que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel, si ce qui importe le plus pour nous est que Dieu soit exalté dans nos vies et dans nos cœurs, alors tous nos autres désirs, alors tous les besoins que nous pouvons exprimer, alors toutes nos demandes seront subordonnées à ce désir premier.

Et quand nos demandes sont subordonnées de la sorte à ce Dieu que nous adorons et que nous recherchons, alors, oui, elles deviennent des sujets de prière appropriées. Alors nos demandes deviennent de vrais sujets de prière. Alors nos demandes sont même ressenties comme étant des moyens d’arriver à cette fin première et fondamentale qu’est l’exaltation de Dieu et la venue de son règne. Quand nos cœurs sont imprégnés de ce désir-là, alors avoir quelque chose à manger, alors la guérison d’un proche, alors la fécondité du couple, alors le bien-être et la réussite de nos enfants, alors le salut de nos proches, alors toutes ces choses ne sont plus de simples demandes naturelles pour de bonnes choses, mais bien plus : elles sont des expressions de notre désir premier, des moyens vers une fin plus grande, un fin centrée sur Dieu lui-même.

Voilà comment Jésus veut que nous intercédions. Voilà comment il veut nous voir prier pour des besoins. Il nous veut en relation avec son Père, oui, mais aussi animés d’une véritable adoration à son égard, d’une véritable soumission à sa volonté, et une véritable confiance en sa bonté et son amour. Oui, Dieu veut que ce soit lui, même quand nous prions pour nous, qui soit le premier.

Sans cette attitude, frères et sœurs, sans ce désir fondamental, je crains fort que nous soyons très vite en colère contre ce Dieu qui ne nous donne pas toujours ce que nous voudrions…

Prière, persévérance et exaucement

Et justement, j’aimerais maintenant que nous puissions continuer notre méditation sur la prière en évoquant la question de l’exaucement. Là encore, plusieurs questions peuvent nous tarauder, n’est-ce pas ?

  • Notre prière a-t-elle, oui ou non, une influence sur la réponse que nous donnera Dieu ?
  • Dieu a-t-il vraiment besoin de nos prières ?
  • Dieu est-il même dépendant de nos prières ?

Pour répondre à tout cela, j’aimerais lire un autre texte, dans l’Évangile de Luc cette fois. C’est une parabole et un enseignement donnés par Jésus, en Luc 11.5-13 :

5Il leur dit encore : Qui d’entre vous aura un ami chez qui il se rendra au milieu de la nuit pour lui dire : « Mon ami, prête-moi trois pains, 6car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir. » 7Si, de l’intérieur, l’autre lui répond : « Cesse de m’importuner ; la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne peux me lever pour te donner des pains », 8— je vous le dis, même s’il ne se lève pas pour les lui donner parce qu’il est son ami, il se lèvera à cause de son insistance effrontée et il lui donnera tout ce dont il a besoin. 9Eh bien, moi, je vous dis : Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. 10Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. 11Quel père parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu d’un poisson ? 12Ou bien, s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? 13Si donc vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent !

Ce texte est intéressant, parce que si nous avons vu tout à l’heure que Jésus était contre le rabâchage dans la prière, il demande ici à ses disciples d’apprendre la persévérance dans la prière. L’exemple qu’il donne est même celui d’un homme qui fait plier son ami en plein milieu de la nuit à cause de « son insistance effrontée » ! Et, Jésus le promet au verset suivant : « Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira »… Il est donc indéniable, ici, que Jésus désire que nous priions avec insistance, avec persévérance, tout comme il est indéniable qu’il veut nous donner ce que nous demandons.

Mais alors, est-il vraiment possible de forcer la main de Dieu de cette manière ? Le résultat de notre prière, l’exaucement, dépendrait-il de nous, de nos paroles et surtout de notre persévérance dans la prière ? Il y a, il faut bien le reconnaître, quelque chose de mystérieux à tout cela. Mais globalement, je pense que si telle est notre perspective, si nous pensons vraiment avoir une influence sur Dieu, si nous pensons vraiment pouvoir lui forcer la main, alors notre prière est d’une certaine manière vouée à l’échec. Elle est en tout cas mal ajustée. Oui, parce que comme nous l’avons vu, prier, c’est avant tout parler à notre Père, c’est être en relation avec lui, dans une relation d’amour, de soumission et de foi à son égard. Ce n’est certainement pas espérer avoir de l’influence sur celui qui dirige toutes choses et règne sur sa création.

Alors, pourquoi la persévérance ? Eh bien je pense que si Jésus nous encourage à persévérer dans la prière, c’est pour que le grand Dieu que nous prions, pour que celui en qui nous avons confiance et que nous voulons exalter dans notre vie et notre prière, puisse travailler nos cœurs dans la prière. Nous nous approchons de Dieu dans une attitude d’humilité et d’adoration, et en lui apportant nos requêtes ou nos supplications, Dieu œuvre en nous. Il nous aide à réaliser toujours davantage que sa volonté est bonne et qu’elle est première.

Du coup, dans la prière, nous ne sommes pas dans un processus de négociation avec Dieu, loin de là. Nous ne sommes pas non plus dans la confrontation de deux libertés (la notre et celle de Dieu). Non, nous sommes dans un processus de réconciliation de notre volonté et de notre désir avec la volonté et le désir de Dieu. Prier avec persévérance, ce n’est pas demander avec insistance à Dieu de s’accorder à nous et à nos désirs, mais bien plutôt demander à Dieu de nous accorder à lui, à sa volonté, à son désir pour nous. Dans notre prière persistante, notre désir premier, c’est Dieu : sa volonté, son exaltation, son royaume. Et du coup, par notre prière, nous apprenons à entrer comme en osmose avec la volonté de Dieu, avec son désir pour nous.

Et dès lors, souvent de façon très pratique, quand nous offrons nos désirs, nos demandes et nos émotions à Dieu de la sorte, dans la soumission à sa volonté, Dieu nous aide à faire les pas nécessaires pour accomplir son plan. Il exauce nos prières parce que, dans le travail qu’il accomplit dans nos cœurs, celles-ci deviennent, sont rendues conformes, à sa volonté.

Conclusion

Pour conclure, j’aimerais vous laisser avec une image, que je trouve très belle et très utile pour penser la prière. C’est une image qui vient de Saint Jean Chrysostome, un des Pères de l’Église. Il disait : « Celui qui prie a la main sur le gouvernail du monde ».

Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien cela signifie que nous ne sommes pas ceux qui tiennent le gouvernail, non. Ça, c’est Dieu qui le fait. Il le tient fermement et il dirige le monde selon son bon vouloir, avec amour, et vers une merveilleuse destination. Mais ce que cela signifie, c’est que par la prière, en posant simplement la main sur le gouvernail tenu par Dieu, nous savons où nous allons, nous sommes coordonnés avec Dieu, en communion avec le capitaine du bateau. Nous ne servons peut-être pas à grand-chose, nous ne savons pas vraiment si cette main posée a une influence sur le gouvernail lui-même – cela est mystérieux – mais notre main est là, et nous nous laissons diriger, en toute confiance, avec foi et assurance en celui qui est un bien meilleur guide que nous. Et en même temps, nous sommes actifs, impliqués dans le processus de direction. Dieu nous fait la grâce de nous impliquer : de nous diriger et de nous conduire, oui, mais aussi de nous faire participer à la conduite du bateau.

Alors, ne lâchons pas le gouvernail. Gardons notre main bien posée dessus. Persévérons dans notre rôle. Et en cela, laissons Dieu œuvrer en nous et dans le monde, selon sa volonté, selon son amour et selon sa majesté.

Amen