Jean 6.24-40 : Le travail, le pain et la vie

Compiègne, dimanche 31 août 2014

Introduction

Je suis désolé de vous le rappeler, en particulier à vous, les enfants, mais le fait est que la semaine qui débute est une semaine de reprise, de rentrée pour beaucoup d’entre nous. Il faut y retourner, aller travailler. Dur dur, je sais. Dur dur parce qu’il faut remettre la machine en marche, redémarrer. Et dur dur aussi parce qu’il y a tant à faire ! Peut-être ressentez-vous, comme moi ce matin, le poids de tout ce qu’il va falloir accomplir lors des jours et des semaines qui viennent. Peut-être avez vous l’impression que toute votre vie et tous vos efforts sont accaparés par ce qu’il y a à faire, à accomplir.

« Faire », « travailler », « œuvrer », « accomplir ». Certes, cela fait partie de la vie. Mais ce matin, j’aimerais que nous nous posions les questions suivantes : Pourquoi ? Pourquoi travaillons-nous ? Quels sont le sens et l’importance du travail, de notre labeur, de nos activités ? Comment, en tant que chrétiens, pouvons-nous penser cela ? Il est assez courant, par exemple, de dire que « travailler, c’est vivre ». Et bien évidemment, c’est vrai : en un sens, nous travaillons pour pouvoir gagner de l’argent et pouvoir nous nourrir, nous et nos enfants. Et, réciproquement, nous nous nourrissons pour pouvoir avoir la force de travailler. Mais est-ce à cela que se résume la vie ? Est-ce comme cela qu’il faut considérer le « travail », la « nourriture » et la « vie » ?

Dans le texte que nous allons lire, nous allons nous rendre compte que le sens de ces mots, pourtant si basics et familiers, est changé, transformé par Jésus. Oui, pour Jésus, le travail n’est pas quelque chose qu’il nous faut faire et la nourriture n’est pas quelque chose à consommer, à ingurgiter. Non, bien plus, Jésus propose que le travail et la nourriture sont des promesses, des grâces qui nous sont faites, que nous recevons, et dans lesquels nous devons apprendre à vivre. J’imagine que vous trouvez tout cela un petit nébuleux, alors je vous invite à lire avec moi Jean 6, à partir du verset 24, pour essayer de comprendre où Jésus veut en venir et ce qu’il a à nous enseigner encore aujourd’hui sur ces notions.

Juste avant cet épisode, Jésus venait de multiplier des pains et des poissons pour nourrir quelques 5000 personnes, puis il était reparti de l’autre côté du lac de Tibériade, jusqu’à Capernaüm. Notre texte se déroule le lendemain :

24Quand les gens virent que ni Jésus ni ses disciples n’étaient là, ils montèrent dans ces barques et se rendirent à Capernaüm pour le chercher. 25Ils trouvèrent Jésus de l’autre côté du lac et lui dirent : « Maître, quand es-tu arrivé ici ? » 26Jésus leur répondit : « Oui, je vous le déclare, c’est la vérité : vous me cherchez parce que vous avez mangé du pain à votre faim, et non parce que vous avez saisi le sens de mes signes miraculeux. 27Travaillez non pas pour la nourriture qui se gâte, mais pour la nourriture qui dure et qui est source de vie éternelle. Cette nourriture, le Fils de l’homme vous la donnera, parce que Dieu, le Père, a mis sur lui la marque de son autorité. » 28Ils lui demandèrent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres voulues par Dieu ? » 29Jésus leur répondit : « L’œuvre que Dieu attend de vous, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » 30Ils lui dirent : « Quel signe miraculeux peux-tu nous faire voir pour que nous te croyions ? Quelle œuvre vas-tu accomplir ? 31Nos ancêtres ont mangé la manne dans le désert, comme le dit l’Écriture : “Il leur a donné à manger du pain venu du ciel.” » 32Jésus leur répondit : « Oui, je vous le déclare, c’est la vérité : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du ciel. 33Car le pain que Dieu donne, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » 34Ils lui dirent alors : « Maître, donne-nous toujours de ce pain-là. » 35Jésus leur déclara : « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. 36Mais je vous l’ai dit : vous m’avez vu et pourtant vous ne croyez pas. 37Chacun de ceux que le Père me donne viendra à moi et je ne rejetterai jamais celui qui vient à moi ; 38car je suis descendu du ciel non pas pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. 39Et voici ce que veut celui qui m’a envoyé : c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a confiés, mais que je les relève de la mort au dernier jour. 40Oui, voici ce que veut mon Père : que tous ceux qui voient le Fils et croient en lui aient la vie éternelle et que je les relève de la mort au dernier jour.

Le travail et la nourriture sont grâce

Notre texte débute par des paroles très fortes de Jésus, et des paroles quelque peu déconcertantes. Alors que la foule est venue rejoindre Jésus de l’autre côté du lac, alors qu’elle vient de le chercher pendant longtemps, alors qu’elle vient de travailler dur pour le suivre jusqu’à Capernaüm, Jésus semble les rabrouer aux versets 26-27 : « Vous me cherchez parce que vous avez mangé du pain à votre faim, et non parce que vous avez saisi le sens de mes signes miraculeux. Travaillez non pas pour la nourriture qui se gâte, mais pour la nourriture qui dure et qui est source de vie éternelle. » Que comprendre de cela ?

Jésus sait bien que le pain de la veille n’est plus. Ces gens ont été rassasiés quelques instants, mais la faim est revenue, parce qu’en lui-même, le pain ne peut pas véritablement rassasier. On a beau en manger encore et encore, il en faudra toujours davantage. Et c’est pour cela que Jésus leur dit : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se gâte ». Jésus a en tête bien plus que le « pain » ici. Il a en tête tout se qui périt, tout ce qui n’a pas de valeur éternelle : l’argent, les voitures, les maisons, les jouets, les ordinateurs, les home-cinéma, les livres. Mais aussi les choses immatérielles, comme le prestige, le pouvoir, le statut, la sécurité… Ne travaillez pas pour ça, ne mettez pas vos efforts dans ça, ne vous concentrez pas sur ça, n’en faîte pas l’objet de votre quête ultime… Bien sûr, ce n’est pas que toutes ces choses sont mauvaises en soi, mais n’en faîtes pas des trésors, parce que rien de tout cela ne peut vous satisfaire. Alors restez libres de tout cela. Ne devenez pas esclaves de la nourriture qui se gâte. Ne vous laissez pas enfermer dans votre désir pour ce qui rouille et pour ce qui ne satisfait jamais pleinement ou durablement. Non, travaillez pour autre chose, recherchez et mettez vos efforts dans ce qui dure et ce qui est source de vie éternelle.

Très bien, semble dire la foule, mais quand même dis-nous ce qu’il faut que nous fassions pour atteindre cela, pour faire les œuvres de Dieu attend de nous ? Dis-nous quel type de travail tu attends de nous pour que recevions cette nourriture. Remarquez que c’est le langage de la performance, de l’accomplissement, que la foule utilise ici : « Que devons-nous faire pour réussir ». Et c’est là que Jésus change radicalement les catégories, le sens des mots. Pour lui, le « travail » qui est attendu de nous n’a rien de laborieux. Il dit : « Le travail de Dieu, le travail qu’il attend de vous, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé ». Votre travail, c’est de croire ! « Travailler », pour Jésus, ce n’est donc pas « faire quelque chose », c’est « être ». Travailler, c’est croire, c’est vivre sa foi. Travailler, c’est une relation à Dieu et à Jésus. Travailler, c’est accepter ce don et c’est vivre par la grâce qui nous est faite. C’est recevoir et s’approprier ce qui a déjà été fait pour nous. C’est accepter ce qui est résumé en Jésus : la vérité, la vie abondante, la vie éternelle qu’il offre.

Bon, la foule n’a pas été totalement convaincue par ces paroles. Elle donne pourtant l’impression de comprendre ce que Jésus est en train de dire, son appel à la foi, mais en même temps, elle a besoin de plus de preuves, elle a besoin que Jésus soit encore plus légitime. Oui, Jésus a déjà multiplié les pains et les poissons, et en cela, il ressemble à Moïse qui avait nourri le peuple dans le désert. Mais quand même, elle demande au verset 30 : « Quel signe miraculeux peux-tu nous faire voir pour que nous te croyions ? Quelle œuvre vas-tu accomplir ? » Donne-nous quelque chose d’autre, semble dire la foule, agit encore pour nous pour que nous soyons sûrs que tu es supérieur à Moïse, pour que nous reconnaissions que tu es le Messie qui donne la vie éternelle.

Mais Jésus répond encore une fois de manière décalée. Il leur dit, en gros : je n’ai pas besoin d’accomplir quoi que ce soit d’autre, puisque je suis le don que Dieu veut vous faire. Je suis le pain véritable, celui qui compte vraiment, le pain qui vient du ciel, de Dieu. Je suis le pain qui nourrit vraiment, et pas seulement les Israélites, mais le monde entier (v. 33). Verset 35 : « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif ». Tout ce que vous avez à faire, donc, c’est de venir et de croire que je suis ce pain. Et si vous le faites, vous serez rassasiés. Vraiment. Vous trouverez la vie. Vraiment. Alors venez, venez expérimenter ce que je suis et ce que je veux vous offrir.

Voilà, chers amis, ce qu’est notre travail et voilà ce qu’est notre nourriture : vivre la foi en Jésus, qui nous aime et qui nous donne sa vie. Ce dont nous avons besoin pour vivre, c’est Jésus qui nous le donne, c’est une grâce. Et plus encore, c’est une grâce durable. En Jésus, nous sommes en sécurité : non seulement ne nous rejettera-t-il pas si nous venons à lui (v. 37), mais plus encore, il ne nous abandonnera pas, il nous gardera dans sa sûre main jusqu’à la fin des temps : « Et voici ce que veut celui qui m’a envoyé : c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a confiés, mais que je les relève de la mort au dernier jour » (v. 39).

Mais dans la pratique, comment ça marche ?

Voilà, le travail qui nous est demandé, c’est de venir et d’accepter de se laisser nourrir, continuellement, par Jésus, de Jésus. Ce travail, c’est d’accepter la grâce, le don, l’amour de Dieu pour nous. Ce travail, c’est une disponibilité pour recevoir cette grâce. Rien de plus, mais c’est déjà beaucoup !

Oui, parce que, avec un esprit un peu mal tourné, on pourrait penser que tout cela est un appel à l’inactivité : « Si tout ce que Jésus me demande, c’est de recevoir cette grâce, alors, je suis tranquille. Finalement, je n’ai peut-être même pas besoin de l’Église, de la communauté, pour cela. Je peux rester chez moi, m’occuper de moi et puis c’est tout. Ce sera moi, ma foi et mon Jésus, et tout ira bien ». Mais pas du tout. Cette grâce qui nous est offerte doit nous pousser non à la passivité et à l’inactivité, mais à vivre pleinement nos vies chrétiennes : en servant, en aimant, en donnant, écoutant, en priant, en croissant, en portant du fruit. Christ nous offre sa grâce (nous n’avons pas à la gagner, à la mériter), mais en même temps, il nous veut pleinement vivants, actifs, à son service, à sa suite.

Et c’est justement en cela que nous avons besoin de la communauté, de nos frères et sœurs et des différentes activités proposées et partagées ensemble. Encore une fois, Christ nous offre sa grâce, sa vie, et nous n’avons pas à la gagner par exemple en participant aux activités de l’Église. Non, ces activités (les cultes, les temps de prières en commun, les temps de partages, de méditations ou d’études de la Bible, les temps de présence dans la ville aussi, d’entraide, d’encouragement), tout cela n’est pas un travail à accomplir pour être un « bon chrétien ». Non, mais la communauté est là comme une ressource pour vivre toujours davantage la grâce que Dieu nous offre en Jésus-Christ. La communauté et ses activités, et sa vie, existent comme un conduit de grâce, une assiette sur laquelle est servie la nourriture que Christ nous donne. Un plat pour recevoir le pain de vie, celui qui satisfait, celui qui rassasie.

Alors, je sais. Je sais qu’en cette rentrée, nous sommes tous surchargés. Nous avons tous tant à faire, tant de travail, tant de pression, tant de personnes à satisfaire, tant de choses à organiser. Et peut-être que certains d’entre vous se demandent comment ils vont réussir à « caser » Christ et l’Église dans leur emploi du temps surchargé. Certains se demandent même s’ils en ont le courage ou la force. Mais c’est justement là où je voulais en venir : ce que Christ nous appelle à vivre n’est pas un labeur, c’est une grâce. Christ nous demande de croire, de vivre notre foi activement, et cela, cette «activité», c’est une grâce qui nous aide à vivre dans le monde.

Pour exprimer cette idée, l’image qui me vient en tête est la suivante : la foi est comme un sac à dos. Il est là, posé par terre. Il nous est offert, gratuitement, mais il faut l’accepter, puis le soulever et le porter. Peut-être a-t-on peur de s’en saisir parce qu’on se dit qu’il va être lourd, qu’il va nous charger, nous encombrer, nous ralentir, et que l’on n’a pas que ça à faire. Mais ce qui est merveilleux avec ce sac-à-dos, si l’on accepte de s’en saisir, c’est que l’on se rend compte qu’il est non seulement léger, mais qu’en plus son contenu nous aide à le porter. Oui, en l’ouvrant, on y découvre un ballon d’hélium, si bien que le contenu du sac-à-dos soulève le sac et nous aide donc à le porter et à avancer. Ce sac-à-dos que nous craignions de porter devient en fait un soulagement, une assistance pour notre marche.

3409_helium_100.jpg

Eh bien, chers amis, c’est aussi pour cela que l’Église et la communauté existent. Si nous sommes Église, c’est pour vivre notre foi ensemble et recevoir toujours davantage la nourriture céleste, la grâce qu’est Christ pour nos vies, la grâce qui nous fait vivre, abondamment. Ne nous en privons pas ; n’en ayons pas peur. En cette rentrée, ne laissons pas nos préoccupations, notre travail et nos responsabilités nous accaparer et nous tenir loin de cette grâce. Mais revenons sans cesse à la source de vie, à Jésus, à sa grâce qui veut nous accompagner chaque jour et nous donner la vie en abondance.

Amen !