• Tout d'abord, je suis à présent convaincu que dans la pensée de Paul, les "puissances" sont des êtres célestes, angéliques, spirituels et malveillants. Paul rentre ainsi tout à fait dans la pensée Juive et Gréco-Romaine de l'époque. Bien des gens vivaient dans un climat de peur et d’incertitude, parce qu’ils savaient qu’il y avait des "puissances", actives dans le monde et dans leurs vies, et que celles-ci pouvaient leur faire beaucoup de mal. Alors, ils essayaient tant bien que mal, à travers la magie, l'astrologie et d'autres formes de religions populaires, de rendre propice ces puissances, ou en tout cas de ne pas attirer l’attention sur eux.
  • Selon Paul, "C’est en Christ que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, le visible et l’invisible, trônes, seigneuries, principats, puissances. Tout a été créé par lui et pour lui." Toutes choses, dont les puissances, ont été créées par Christ. Le témoignage biblique indique pourtant que tout a été créé bon, et il convient donc de considérer que les puissances, créées bonnes elles-aussi, se sont détournées de Dieu, décidant de combattre ses desseins pour la création plutôt que de les assister.
  • Contrairement à certains (en particulier W. Wink, Naming the Powers), les "puissances" ne sont pas chez Paul simplement identifiées aux structures et autres systèmes d'oppression socio-économico-politico-militaires si présents dans l'empire romain et promulgués par le mythe de la pax romana. Non, les puissances, dans l'esprit de Paul, sont bien distinctes de ces structures d'oppression, elles sont actives derrières ces structures, les guidant, les poussant à agir contre la volonté de Dieu. Quoi que l'on puisse penser d'une telle cosmologie aujourd'hui, telle semble avoir été la pensée paulinienne.
  • Dans une perspective juive, les ennemis de Dieu et d'Israël étaient globalement considérés comme les nations païennes, aidées par les "puissances" (Deut. 32.15-17; Dan. 7:2-8; 11QM, 4QM491-96). Mais Paul, lui-même Juif converti au Christianisme, ne partageait plus tout à fait cette perspective. Non, pour lui, les païens ou Gentils n'étaient plus ennemis de Dieu. Bien au contraire, Dieu désirait les inclure dans son alliance, dans son peuple. Paul, ayant compris cela très tôt, n'eut d'ailleurs de cesse de proclamer l'évangile aux Gentils. Mais il n'avait pas pour autant abandonné l'idée qu'une guerre cosmique avait bien lieu. Simplement, pour lui, les vrais ennemis de Dieu et de son peuple n'étaient plus les nations, mais les "puissances" qui agissaient derrière la face humaine des autorités et autres empires de ce monde (le nombre de références implicites aux abus de l'empire romain en Colossiens est assez extraordinaire!).

  • Or, si les ennemis étaient pour Paul les "puissances", celles-ci ont été vaincues à la croix. En Col. 2.15, il exprime cette réalité ô combien paradoxale: "Christ a dépouillé les principats et les puissances, et il les a publiquement livrés en spectacles, en les entraînant dans son triomphe." Christ, mort sur une croix aux mains des Romains (elles-mêmes guidées par les "puissances"), a par ce biais vaincu les puissances! Donc, et c’est ce que Paul veut communiquer en Colossiens 2, pour ceux qui sont en Christ et qui reconnaissent sa souveraineté, il n’est plus nécessaire de se soumettre à ces puissances. Celles-ci ont perdu leur force, elles sont dépouillées de leur toute puissance. Les chrétiens n’ont plus besoin de laisser ces puissances diriger leur vie.

Christ Georges Rouault

  • Dieu, en Christ, avait quelque chose de plus englobant à l’esprit que la simple défaite des puissances à la croix. En Col. 1:19-20, Paul écrit : "Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux en faisant la paix par lui, par le sang de la croix". Christ, ayant vaincu les puissances sur la croix, avait en vue la réconciliation de toutes choses avec lui-même. La mort de Christ avait en vue un monde nouveau, un monde qui serait entièrement et totalement sous l’autorité de Christ, un monde parfaitement en paix avec lui et ordonné par son amour.
  • Si la victoire décisive sur ces puissances a déjà eu lieu sur la croix, celle-ci doit encore être mise en application, jusqu’à ce que, finalement, toutes choses soient réconciliées avec Christ. Bien que vaincue, dépouillées de leur pouvoir, les puissances continuent d’agir dans le monde. Voilà pourquoi Paul enjoint à l'Église de combattre les puissances par les armes de l'Esprit (Éphésiens 3:8-10; 6:11-12), proclamant par leurs actions la victoire de Christ et son désir de tout réconcilier avec lui-même. L'Église doit identifier l'oeuvre des puissances dans la société, et continuer de combattre sur la base d'une victoire déjà acquise, et dans l'espérance de la réconciliation.
  • En guise d'application, finalement, tout l'enjeu pour l'Église aujourd'hui est de savoir identifier les structures d'oppression présentes dans la société, les idéologies impériales qui capturent encore l'imagination d'hommes et de femmes (ceci correspond au but de la pax romana, au premier siècle, qui faisait cela à travers une grosse campagne de propagande impériale). Je pense pour la France que le consumérisme est aujourd'hui l'une des plus puissantes idéologies impériales, que les chrétiens doivent bien sûr combattre. Cela dit, j'ai hâte de pouvoir discuter de cela avec les pasteurs et autres théologiens présents en Ukraine pour la conférence, et ainsi découvrir ce qui capture l'imagination des Ukrainiens.